Olivier Bile
Olivier Bile, Phd, universitaire et homme politique camerounais ; président de MEIMA et de l’UFP / ©OB

REACTION AU PROJET DE CREATION DE LA MONNAIE ECO EN CEDEAO

Par Olivier BILE, PHD, Universitaire et Homme politique camerounais

Président de MEIMA  et de l’UFP

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Le contexte

Les Africains ont-ils vraiment été envoûtés et zombifiés ? L’Homme noir vivant dans cette partie de l’Afrique dite francophone a-t-il été cérébralement anesthésié et mentalement émasculé ?

Telles sont les vraies questions que je suis finalement venu à me poser lorsque j’observe le comportement général de mes frères Africains face à la problématique monétaire qui nous tenaille ces derniers temps et qui est si déterminante pour le vécu quotidien de tous et de chacun. Presque déjà en 2020, près de 75 ans après l’entrée en vigueur de la monnaie coloniale dénommée F CFA, des chefs d’Etat, des leaders politiques de tous bords, des hauts commis d’Etat, des universitaires de diverses disciplines, des citoyennes et citoyens de tous horizons continuent d’accepter la servitude et la répression monétaires exercées contre leurs peuples et contre eux-mêmes. L’insouciance, l’indifférence et la passivité qui caractérisent l’écrasante majorité des citoyens de cette zone franc est, assurément, tempérée par les nombreuses prises de position, hélas souvent isolées, que certains prennent dans les réseaux sociaux ou sur certains médias et fora.

Mais d’une manière générale, il apparaît clairement que la prise de conscience et le basculement dans une riposte collective, massive et salvatrice restent encore assez faibles. Il s’agit pourtant là, certainement, de la seule vraie cause susceptible à la fois de mobiliser et de rassembler l’ensemble des populations des Etats de cette partie du monde. La seule vraie cause à même de réorienter positivement leur destin vers une perspective d’émancipation et de développement véritable à la faveur, il faut le souligner, de la mobilisation d’un leadership politique nouveau, au fait des enjeux actuels, et techniquement apte à gérer une monnaie. D’où proviennent donc cet aveuglement, cet attentisme et ce défaitisme généralisés ?

La supercherie de l’ECO

Au moment où à Yaoundé comme à Abidjan, à Bangui comme à Cotonou, à Brazzaville comme à Lomé, à Ndjaména comme à Moroni, à Libreville comme à Bamako, les fléaux du sous-emploi massif, des crises sociopolitiques, sécuritaires, de l’obsession migratoire au sein de la jeunesse, et plus généralement de dysfonctionnements de toute nature battent leur plein, certains sont à nouveau tentés d’enliser cette Afrique-là dans le bourbier de la calamiteuse gouvernance liée à l’ordre néocolonial du F CFA. Sa mutation annoncée en ECO, quelles que soient les réformes de surface envisagées, représente une nouvelle et inacceptable supercherie dont le caractère mortifère pour les Etats de ladite zone n’est plus à démontrer. Les ambitions et velléités de préservation de la puissance française dans la géopolitique mondiale en prenant appui sur son pré carré africain, ne seront jamais compatibles avec les légitimes ambitions à l’émancipation et au développement des Etats dudit pré carré. Il y a entre ces deux visées quelque chose de profondément antithétique.

Dans une étrange manœuvre politicienne il y a à peine quelques jours, Emmanuel Macron recevait Nana Akoufo Ado, Chef de l’Etat ghanéen devant un parterre de centaines de jeunes Africains de la diaspora. Cette initiative ainsi que les déclarations faites à cette occasion sur le franc CFA par le Chef d’Etat français confirment cette incroyable fébrilité de la France officielle sur cette question, son entêtement à trouver des astuces pour préserver, voire étendre son précarré africain à des Etats anglophones. Il affirme pourtant qu’en la matière il n’a ‘ni tabou ni totem’. Pourquoi donc, face à la volonté générale des Africains en faveur de la fin de cette servitude monétaire, ne pas simplement procéder à ce ‘désengagement responsabilisant à l’égard du F CFA’ que j’avais amicalement suggéré à la France ? Si les dirigeants actuels ne sont pas capables d’en prendre l’initiative, elle qui est quotidiennement brocardée sur le sujet, peut le faire. La fin de cette collaboration monétaire sonnera sans doute aussi le glas d’un ordre politique d’archaïsmes, de paresse, de mal gouvernance et d’appauvrissement pour les peuples africains de cette zone. La fin de cette tutelle monétaire représentera, à court ou moyen termes, l’opportunité historique d’un nouveau départ sur les plans politique, économique et socioculturel pour l’Afrique CFA.

Démarche méthodologique pour l’Emancipation et l’Intégration Monétaires de l’Afrique : L’urgence de l’éclairage

L’avenir de l’Afrique se situe clairement dans une démarche méthodologique en deux phases : L’émancipation de ses Etats pris isolément, puis par la suite, leur intégration monétaire et économique sur des bases graduelles et évolutives.

Au moment où un vif débat a déjà lieu sur un projet d’intégration monétaire en Cedeao avec perspective de création d’une monnaie unique à l’horizon 2020, il est indispensable aujourd’hui, de revenir sur cette problématique de l’intégration  monétaire souvent appréhendée avec beaucoup de légèreté et de paresse çà et là en Afrique.

Disons d’entrée de jeu qu’une monnaie commune comme le franc CFA n’est pas possible sans la discipline et la tutelle énergique et tutélaire de la France. Sur le plan pratique, afin de parvenir à un objectif sérieux de monnaie unique, les Etats concernés doivent sacrifier une longue période d’harmonisation de leurs structures économiques par la satisfaction à des critères de convergence macroéconomiques attestant de l’homogénéité de leurs environnements socioéconomiques. L’Union Européenne actuelle, rassemblement de 27 Etats dont la plupart étaient individuellement déjà industrialisés, avait démarré un tel processus en 1952 avec la CECA (Communauté européenne pour le charbon et l’acier) pour ne voir l’avènement de la monnaie unique qu’en 1999. Cela s’est réalisé après que des Etats individuellement bien développés et producteurs de biens manufacturés diversifiés, sont parvenus à satisfaire aux critères de convergence et d’homogénéité macroéconomiques édictés par le célèbre traité de Maastricht.

La monnaie unique, dans leur cas, devient en effet nécessaire pour faciliter et booster la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux dont on s’est préalablement assuré de la production  de manière considérable. Un grand marché dans lequel circule une monnaie commune peut alors dans un tel schéma être un puissant levier pour accélérer les échanges. Difficile cependant de voir les choses de cette manière dans des Etats sous-industrialisés où chacun s’échine à proposer les mêmes matières premières aux économies avancées du Nord, et où le commerce intra-africain ne représente guère que la portion congrue du total des échanges. Impossible de faire jouer à la monnaie commune sa fonction d’amplification dans un contexte où les Etats n’ont même jamais compris l’exigence préalable de la création des conditions de migration de leurs économies vers le  plein emploi avec toutes les implications que cela suppose.

Le risque est alors grand, aujourd’hui, de voir les Etats africains s’acheminer périlleusement sur des sentiers de monnaie commune, avec ou sans la France, en demeurant dans la même réalité d’économies végétatives et improductives, si ce n’est en sombrant dans les affres d’une inflation chronique due aux réalités de mal gouvernance congénitale propres à nos gouvernements. La solidarité ne peut être une bonne chose qu’à condition que les faiblesses des uns ne deviennent des boulets et fardeaux insurmontables pour les autres.

Il  y a lieu d’avoir de telles craintes comme dans le cas de la Guinée de Sékou Touré qui, hélas, ne brilla pas par une gouvernance monétaire et économique vertueuse et rigoureuse. Certains seront alors prompts à rigoler et tourner en dérision les discours d’émancipation africains. En accusant la monnaie indépendante qui n’y serait pour rien. Et d’autres ne tarderont pas à regretter ou recommander, comme dans le cas du Mali, le retour à la case plus ‘stabilisante et tranquillisante’ du trésor français. Les Africains ont besoin de mieux comprendre la vraie science de la monnaie. Car des idées fausses et simplistes ont été répandues dans l’imagerie monétaire africaine.

Poncifs, absurdités et autres faux mythes entretenus dans l’imagerie monétaire africaine (Quelques extraits significatifs de Monnaie, Servitude et Liberté de Joseph Tchundjang Pouemi)

 

« De l’hypothèse, fausse parce que dérivant du concept indéfinissable du sous-développement, que les petits pays ne peuvent garantir leur monnaie faute d’une économie suffisamment solide pour la soutenir, les pays africains ont, de diverses manières et à des degrés différents, démissionné devant leurs responsabilités en matière monétaire, c’est à dire en définitive économique ».

« Mais quelle est donc cette garantie illimitée que donne si aimablement la France au franc CFA et dont on parle tant ?....La garantie de la valeur du franc CFA est donc une absurdité logique…S’agit-il d’une garantie externe, de l’engagement de désintéresser tout créancier extérieur d’un membre de la zone en cas de manque de devises ?..... La France n’a jamais réglé une facture d’un dollar pris sur ses propres réserves pour ‘payer’ un créancier hors zone franc d’un Etat africain ... Depuis une douzaine d’années, le rythme de hausse des prix en France est d’environ 8%, donc largement supérieur au taux d’intérêt servi sur le compte d’opérations, on obtient ce résultat extraordinaire qu’en fait, les Etats ‘africains’ ont payé le trésor français pour garder leurs devises, des francs ».

.« Faut-il dévaluer le franc CFA ? Mais le franc CFA, c’est une chimère : ce qui circule à Abidjan, à Dakar comme à Lomé, c’est bien le franc français (on dirait l’euro-franc aujourd’hui) à cent pour cent. Ou encore, aurons-nous suffisamment de réserves d’or pour garantir une monnaie indépendante ? Mais il y a cinquante ans que les réserves ont cessé de garantir les monnaies. … Une monnaie indépendante n’est pas seulement possible, elle est indispensable à une politique économique qui se voudrait nationale. Encore faut-il en faire un bon usage, bien la gérer et d’abord bien comprendre d’où elle vient et à quoi elle sert, faute de quoi elle a des chances d’être autoréprimée ».

Où se situe donc l’avenir ?

Assurément, l’avenir se situe clairement, sur la trajectoire responsabilisatrice et libératrice du Cedi ghanéen, du Naira nigérian, du Rand sud-africain, du Pula botswanais, du Dinar marocain et de ces quarante autres monnaies indépendantes du continent qui travaillent chaque jour à chercher à se mettre sur l’orbite du plein emploi telle que prescrite par la théorie économique fondamentale. Ce dont les pays de la zone franc ont vitalement besoin, c’est d’abord d’une véritable émancipation monétaire individuelle qui conduira chacun d’eux, à découvrir les virtualités dynamisantes du pilotage d’une superstructure monétaire et bancaire en la mettant très volontairement et très librement au service de son économie locale à travers une approche d’inclusion non discriminée des acteurs de la production de tous les secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Ces Etats ont besoin de découvrir les secrets de l’art et de la science monétaires. Maurice ALLAIS dit à cet égard : « Rien n’est plus urgent d’informer l’opinion publique et les gouvernements sur l’importance de la monnaie ». Il savait de quoi il parlait, le maitre à penser de l’illustre Joseph Tchundjang Pouemi qui nous instruit à son tour de ce que « la monnaie est la première de la construction économique ». Il parlait, assurément, d’une monnaie indépendante et parfaitement pilotée, et non d’une monnaie assujettie au contrôle étranger.

Je veux aussi attirer l’attention des Africains sur un autre élément essentiel relatif à une certaine mythologie africaine sur la monnaie commune. Pour cela, je dirais que si l’union monétaire est un objectif souhaitable à terme, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas sans contraintes ni périls. Dans le cas européen, on peut en juger par les réticences de la Suisse ou de la Grande Bretagne qui n’ont jamais souhaité partager la monnaie commune qui est l’Euro. Les soucis de la Grèce et d’autres Etats en sont aussi une illustration. D’autre part, le pacte de stabilité souscrit par les Etats membres impose des contraintes de gouvernance pas toujours en phase avec les objectifs de politique économique et sociale internes des Etats. Au point où une grande défiance existe désormais en Europe de la part des citoyens à l’égard du système de l’Euro et plus généralement du fonctionnement des institutions communautaires de Bruxelles. Une telle macrostructure risque parfois de se mettre davantage au service des grandes multinationales plutôt qu’à celui des populations ordinaires dans les villes et campagnes. D’où le phénomène de développement des monnaies secondaires locales dans plusieurs pays de l’UE. Il est par conséquent important de bien y réfléchir avant de la créer, car elle recèle aussi de sérieux inconvénients. Voilà pourquoi j’affirme que la solidarité monétaire basée sur une monnaie unique à tout prix n’est point une fin en soi. Elle pourrait même devenir aussi une sorte de ‘planque’ pour des Etats paresseux, adeptes d’une médiocre gouvernance tout en constituant un boulet affaiblissant pour des Etats plus portés vers une gouvernance dynamique et de quête de la productivité. Un véritable débat continental et populaire sur le thème de la monnaie est indispensable.

En outre, la monnaie unique devrait aussi, en Afrique, être comprise comme le produit de l’aboutissement d’un processus d’intégration mettant en scène, après un itinéraire sérieux de collaboration monétaire, des Etats sortis de l’austérité du système du pacte colonial pour s’acheminer vers l’abondance d’une économie de diversification industrielle. Cette dernière n’est possible qu’à la faveur de la mise en œuvre de politiques volontaristes de plein emploi. Les discours incantatoires sur l’industrialisation de l’Afrique resteront des vœux pieux aussi longtemps que la mise en œuvre des principes universels de la théorie économique fondamentale prescrite par Keynes, Tchundjang Pouemi, Samir Amin, Mamadou Coulibaly et d’autres, ne sera devenue réalité sur le sol africain.

Maintenus dans un état d’austérité et de pauvreté structurelles à travers les phénomènes de l’autorépression et de la répression monétaires, la plupart des Etats africains ont besoin de s’approprier les vertus dynamisantes de l’art monétaire. Joseph Tchundjang Pouemi rappelle ceci :

« Bien vide, la monnaie a permis l’éclosion et le rayonnement du capitalisme et de la ‘civilisation’ occidentale ».

« Aujourd’hui, faute d’accorder aux questions monétaires l’attention qu’elles méritent, l’Afrique inflige à ses enfants, et plus encore à ceux qui ne sont pas encore nés, des souffrances tout à fait gratuites. Avec sa terre généreuse, ses incalculables ressources énergétiques et du sous-sol, ses hommes réputés pour leur force physique et mentale, mais aussi pour leur humanisme, l’Afrique mendie, se déchire, se détruit, ou plutôt détruit les chances de ce que les combattants de notre indépendance , en donnant hier et aujourd’hui leur sueur, leur sang et souvent leur vie, ont voulu offrir au monde : une terre accueillante et chaleureuse, mais retrouvée, une Afrique forte mais paisible, diverse mais unie autour de ce qui lui a toujours été le plus cher : l’amour, le dialogue, la tolérance ».

La révolution monétaire au service de la révolution sociopolitique et culturelle

« Mais être convaincu ne suffit plus si l’Afrique veut minimiser les retombées d’une crise économique de moins en moins évitable en raison de la profondeur de ses causes. L’action est urgente… L’action en matière monétaire demande …non seulement que le responsable ait une idée claire et simple de ce qu’il fait, mais encore, et surtout, que cette idée soit bien comprise par ceux que l’action intéresse et sans l’adhésion de qui aucun objectif ne peut être atteint : les citoyens… Il convient que la monnaie cesse d’être l’affaire de quelques ‘technocrates’ au langage hermétique, souvent irresponsables devant les peuples. Phénomène social par essence, source de progrès des économies modernes… la monnaie devrait pouvoir être comprise par tous ceux que le fonctionnement du corps social intéresse, économistes ou pas ».

 

MEIMA, le Mouvement pour l’Emancipation et l’Intégration Monétaires de l’Afrique

Le problème est donc éminemment politique. Il appelle des solutions de nature politique. L’accomplissement de la révolution monétaire de plus en plus indispensable exige la mobilisation des Africains autour de MEIMA. Nous avons créé cette organisation à vocation panafricaine à cette fin. Africains, emparons-nous de MEIMA et remettons notre Afrique en marche !

Objectif central : Promouvoir, accompagner et réaliser l’émancipation monétaire des Etats africains pris isolément (En particulier ceux de la zone franc). Par la suite, Promouvoir et faciliter la coopération et l’intégration monétaires graduelle de l’ensemble des Etats du continent.

Objectifs spécifiques : Sensibiliser, conscientiser et éduquer les masses populaires africaines à travers conférences, causeries éducatives et rencontres diverses sur le continent et dans les diasporas ; Mobiliser l’expertise africaine et africaniste la plus adaptée à ce défi d’éducation populaire en matière monétaire et économique ; Créer des cadres d’action solidaire pour accomplir la révolution monétaire ; Mobiliser les ressources financières et matérielles permettant de réaliser ses objectifs ; Promouvoir la bonne gouvernance monétaire et un plein emploi constant dans nos Etats ; Promouvoir l’accès au pouvoir, des Africains partageant les idéaux de MEIMA dans les différents Etats africains ; Expliquer les enjeux fondamentaux de la monnaie pour toute société aspirant au développement et à la souveraineté dans le monde contemporain. Mettre l’Afrique sur le chemin de la monnaie unique et de l’intégration politique, scénario idéal sur le long terme.

Africains, à vous de jouer !

 

Que Dieu bénisse, libère et relève l’Afrique !!!

 

 

 

  

    

 

 

 

 

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