Le scrutin présidentiel du 12 octobre 2025 a introduit une innovation majeure : la pochette tactile, un dispositif permettant aux personnes non-voyantes de voter de façon autonome et secrète.
Entre satisfaction, prudence et appels à l’amélioration, les témoignages recueillis au CJARC (Club des jeunes aveugles réhabilités du Cameroun) et à Mimboman révèlent les avancées — et les défis — de ce vote accessible.
Une première qui change la donne
La pochette tactile est un outil mis au point par Elections Cameroon (ELECAM) pour favoriser la participation électorale des déficients visuels.
Elle prend la forme d’un support rigide, comportant des repères en braille alignés avec les positions des candidats sur les bulletins de vote. Ainsi, l’électeur peut, par le toucher, identifier le bulletin correspondant à son choix sans aide extérieure — garantissant son autonomie et la confidentialité de son vote.
Aymard Lindjeck, journaliste et non-voyant de 32 ans, a voté au bureau du CJARC, où plusieurs personnes aveugles ont pu expérimenter ce système.
« C’est une forme d’aide qui permet aux personnes handicapées visuelles d’être sûres que le choix qu’elles ont opéré est vraiment le leur. Cette innovation est à saluer, même si le petit bémol, c’est qu’elle n’était pas disponible partout. »
Pour lui, la généralisation de la pochette est un enjeu majeur : « Notre plus grand souhait, c’est qu’à l’avenir, on la retrouve en nombre suffisant dans tous les bureaux de vote, afin que ce ne soit plus une utopie pour certains alors que c’est déjà une réalité pour d’autres. »
Entre espoir et limites techniques
Interrogé sur la lisibilité tactile des bulletins, Aymard nuance : « Oui, certains ont trouvé que les points n’étaient pas trop repérables au doigt. Peut-être qu’on n’a pas pris assez de temps pour travailler techniquement sur la matérialisation exacte du braille. Les déficients visuels totalement privés de vue ont besoin d’une grande sensibilité tactile. Si ton doigt ne ressent pas bien le point tel qu’il devrait être, cela devient une forme de discrimination — peut-être involontaire, mais réelle. »
Lui, toutefois, n’a pas rencontré ce problème : « Je lis le braille, j’utilise les outils informatiques adaptés, et je m’étais préparé moralement à rencontrer des obstacles. Mais j’ai abordé ce vote avec détermination et optimisme, persuadé que je devais participer au même titre que les autres citoyens. »
Arnaud Djikilli : “Il faut penser à l’arrière-pays et former le personnel”
Âgé de 39 ans, Arnaud Djikilli, lui aussi électeur au CJARC, se réjouit de cette avancée qu’il a testée pour la première fois : « Je ne me suis pas fait assister comme par le passé. Avec le nouveau matériel d’ELECAM, nous avons pu voter de manière autonome. Nous avons simplement appliqué les consignes reçues lors des formations organisées avec les associations de personnes handicapées. Et ça marche bien. »
Mais il émet plusieurs recommandations : « Le matériel est arrivé un peu tard. Il faudrait penser à l’arrière-pays, où les déficients visuels n’ont pas eu cette possibilité. Dans mon bureau, il n’y avait que 12 pochettes pour 12 candidats. Chaque fois qu’un électeur votait, il fallait tout remettre en ordre, ce qui prenait un temps fou et mettait la pression sur les votants. »
Il souligne aussi le manque de formation du personnel électoral : « Même certains agents d’ELECAM et membres de partis politiques ne maîtrisaient pas le mécanisme. Ils doivent être formés pour mieux accompagner les personnes handicapées. »
Patrick Bakunga : “J’ai voté seul, sans guide, avec ma canne blanche”
Dans le quartier Mimboman, patrick Bakunga, 39 ans, raconte fièrement son expérience de vote autonome : « Je me suis rendue seule au bureau de vote grâce à ma canne blanche. Une fois sur place, les agents m’ont orientée et j’ai pu voter sans aide, grâce à la pochette tactile. J’ai aussi retiré ma nouvelle carte d’électeur comme tout le monde. »
Il se souvient qu’en 2018, les conditions n’étaient pas aussi favorables : « À l’époque, on m’avait aidé à classer les bulletins par couleur et par nom. Ce n’était pas très facile. Aujourd’hui, avec les points tactiles, c’est beaucoup mieux. »
Amahata Abibita Martin Luther : “Une belle expérience, mais à améliorer”
La cinquantaine, Amahata Abibita Martin Luther, également électeur au bureau D du CJARC, se félicite du nouveau dispositif : « On m’a remis les 12 pochettes tactiles et une enveloppe. Je suis allé dans l’isoloir, j’ai choisi mon candidat, glissé le bulletin dans l’enveloppe et voté comme tout le monde. Ça s’est très bien passé, j’ai même pointé mon doigt dans l’encre indélébile. »
Reconnaissant les efforts d’ELECAM, il formule tout de même un souhait : « Il faut que les points soient plus saillants pour qu’on les sente mieux au toucher. L’idée est bonne, mais il faut l’améliorer davantage. »
Ces voix traduisent une même émotion : la fierté d’avoir enfin participé au vote sans dépendre d’un guide. Mais elles soulignent aussi les chantiers à poursuivre : meilleure accessibilité du matériel, formation du personnel électoral, standardisation du braille tactile et déploiement dans tout le territoire, notamment en zones rurales.
La pochette tactile n’est donc pas qu’un simple outil : c’est un symbole d’inclusion et de citoyenneté pour des Camerounais longtemps exclus du processus électoral.
Et comme le résume Aymard Lindjeck : « Ce vote autonome ne doit plus être une exception réservée à quelques-uns, mais un droit pour tous les électeurs non-voyants du Cameroun. »