Répression des manifestations postélectorales : Me Alain Ndam dénonce le non respect du code de procédure pénale
Répression des manifestations postélectorales : Me Alain Ndam dénonce le non respect du code de procédure pénale

Au cours de l’émission «Zap presse» du dimanche 2 novembre 2025 sur les ondes de la RTS (Radio Tiemeni Siantou, 90.5 FM, Yaoundé), Me Alain Ndam, coordinateur du Collectif de défense citoyenne pour les régions du Centre et du Sud, s’insurge contre le mauvais traitement dont sont l’objet les manifestants postélectoraux détenus. Il pointe du doigt notamment le non respect du code de procédure pénale. Ci-dessous, un extrait de l’échange qu’il a eu avec le présentateur, Serge Aimé Bikoï.

Serge Aimé BikoÏ : Maître Alain Ndam, bonjour. 

Me Alain Ndam : Bonjour Serge Aimé. Bonjour à tous les auditeurs de la Radio Tiemeni Siantou de par le monde. 

 

SAB : Vous êtes avocat au barreau du Cameroun et coordinateur du Collectif de défense citoyenne pour les régions du Centre et du Sud. Je vais faire un briefing du contentieux postélectoral, notamment ce qui s’est passé le 31 octobre dernier au tribunal militaire de Yaoundé, avant que vous ne réagissiez.

Le 31 octobre 2025, on a constaté qu’Anicet Ekane et ses coaccusés, Florence Titchio, Djeukam Tchameni et le Pr. Jean Calvin Aba’a Oyono, étaient présentés devant le commissaire du gouvernement dans le cadre des contestations postélectorales. Cette audience s’inscrit dans un contexte tendu marqué par une vague d’arrestations d'opposants et de militants suite aux contestations du résultat de la présentielle du 12 octobre dernier au Cameroun. La situation du président du MANIDEM en particulier suscite de vives inquiétudes concernant sa santé.

Des sources proches de son conseil rapportent qu'il était porté par deux gendarmes pour se déplacer au sein du tribunal avant même son arrestation à Douala, d'où il s'est retrouvé à Yaoundé après un long voyage difficile. Ce septuagénaire souffre de problèmes respiratoires. Il a d'abord été incarcéré au Secrétariat d'État à la défense (SED) avant d'être convoqué pour comparution au tribunal militaire.

Cette audience ne fait que refléter, dit le journal Héraut National, une situation postélectorale tumultueuse au Cameroun où une vague d'arrestations a touché de nombreux opposants politiques. Selon des informations fournies par Maître Hippolyte Méli, conseil d'Anissé-Ekane, son client a été sorti brutalement du centre de la gendarmerie. Une action qui illustre la tension croissante entre les autorités judiciaires et les opposants politiques.

Le climat actuel au Cameroun est marqué par une prise postélectorale où les voix dissidentes sont de plus en plus réprimées. Les 71 autres détenus au Secrétariat d'État à la défense, dont 45 ont déjà été entendus par le commissaire du gouvernement, témoignent de l'ampleur de cette situation. Avec 26 autres auditions prévues ce lundi 3 novembre 2025, la situation continue d'évoluer, plongeant le pays dans une incertitude politique grandissante.

Dites-nous, vous étiez au tribunal militaire le 31 octobre dernier. Qu'est-ce qui s'est réellement passé, Maitre Alain Ndam?

Me AN : Oui, nous étions au tribunal militaire le 31 octobre, ce vendredi, et c'est avec la larme à l'œil que nous avons assisté à l'audition, si on peut l'appeler ainsi, du président du MANIDEM. Mais il n'était pas la seule cible de notre déplacement, parce que Défense citoyenne, c'est un collectif d'avocats qui, devant les injustices, devant les arrestations qui se sont multipliées, devant les procédures, devant les délits de faciès, ont décidé de se mettre ensemble pour assister tous ceux-là qui se retrouveraient devant les tribunaux, qui seraient en état d'arrestation, qui devraient faire face à une arrestation.

Parce que nous faisons un plaidoyer pour une loi, pour un code de procédure pénale impersonnel et général, nous nous sommes déployés pour que toutes les personnes qui se retrouvent entre les mains de la justice soient traitées comme le prévoit notre loi. Et nous avons, jusqu'ici, le cœur toujours pincé, toujours serré, parce que les chiffres que nous avons pu collecter sur le terrain, au-delà du président du MANIDEM, je le dis toujours, sont très alarmants.

 

SAB : De quels chiffres s'agit-il de manière concrète ?

Me AN : De manière concrète, le collectif est déployé dans tout le Cameroun. Je suis le représentant pour le Centre-Sud. Mais déjà à Douala, là où il y a eu le plus grand nombre de personnes interpellées, nous avons plus de 1200 personnes qui sont placées en garde à vue administrative, d'autres qui sont placées en garde à vue par les tribunaux d'instance, notamment le tribunal de grande instance et de première instance. À Bertoua, vendredi déjà, nous avions 345 personnes placées en garde à vue administrative. À Bafoussam, vendredi toujours, 300 personnes et plus gardées à vue de par l'arrêté de l'administration.

À Maroua, nous avons 78 personnes en garde à vue. Et là, ce sont les chiffres de vendredi qui n'ont même pas encore été harmonisés par toutes nos équipes déployées sur le terrain. À Yaoundé, vous avez les chiffres, parce que nous étions sur le terrain, les chiffres sont vrais, très alarmants aussi. Il y avait 55 personnes en plus des personnes publiques que vous avez citées tout à l'heure. Il y avait 55 personnes devant le commissaire du gouvernement, qui tous visiblement très atteints de par le mauvais traitement qu'ils subissent, qui visiblement le visage tuméfié, certains qui avaient des blessures... Il y en a même un qui nous a particulièrement touchés parce qu'il avait une fracture et le commissaire du gouvernement et la gendarmerie se disputaient, pour savoir qui va prendre en charge ce jeune garçon. Encore plus grave, au moins 30% des jeunes qui sont dans ces situations-là, ce sont des mineurs, parce que nous les avons recensés, nous avons les noms, nous avons les âges et les identités, nous avons un fichier fourni. Parce que les chiffres que nous donnons sont réels. Toutes les personnes que nous avons pu approcher aujourd'hui en garde à vue, nous les avons identifiées nommément et avons leurs âges.

 

SAB : Me Alain Ndam, que reproche-t-on à ces personnes interpellées ? 

Me AN : Les personnes interpellées, pour la plupart, il leur est reproché les infractions d'insurrection, de révolution, d'appel à la révolte en complicité. Des infractions qui tombent dans la compétence du tribunal militaire. Mais ici, nous ne sommes pas là pour contester la pertinence de ces infractions-là. En tant qu'avocats droit-de-l'hommistes, ce que nous contestons, ce sont les méthodes. Si l'État estime qu'il y a des gens qui trouvent l'ordre public, okay. Utilisez les armes que le législateur vous a donné, qui est le code de procédure pénale. Si vous avez décidé de les arrêter, il faut les traiter sous le règne du code de procédure pénale et leur accorder au moins la possibilité d'avoir accès à un procès équitable.

Donc voilà notre combat, voilà le leitmotiv de notre lutte, voilà la motivation de notre déploiement sur le terrain.

 

SAB : Quelle lecture faites-vous de la méthode qui a été diligentée pour orchestrer ces différents arrestations ? Qu'avez-vous constaté de manière concrète ?

Me AN : Ce que nous constatons, c'est l'utilisation excessive, je dirais pas abusive, mais excessive, de la violence. Parce qu'on ne comprend pas que pour interpeller un enfant de 15 ans, on déploie des hommes super armés qui les bastonnent, qui les blessent, qui après les avoir arrêtés, les parquent comme du bétail pratiquement.

Et c'est toute chose qui, au lieu d'apaiser les tensions qui sont là, aura plutôt pour vocation à susciter la révolte. Parce que, Serges Aimé, si vous avez l'occasion de les voir, je suis sûr que vous allez couler les larmes. Quand tous ces jeunes sont parqués au même endroit, dénudés pratiquement, parce qu'on fait tout pour les humilier au maximum, pour dire que les convictions et les voies que vous avez choisies-là, vous allez mourir pour ça.

On les traite comme des animaux, comme des hors-la-loi, parce qu'il est bon de préciser que la manifestation n'est pas un acte illégal. Le fait de manifester, de marcher pour exprimer une opinion politique n'est pas illégal. S'il y a eu des casseurs parmi, on dit okay, traitez-les comme des êtres humains.

Il n'est pas question de déshumaniser quelqu'un parce qu'il a peut-être violé la loi. Ce que nous disons, c'est que des gens ont violé la loi, c'est vrai, des gens ont cassé, c'est vrai, c'est une constance. Mais, comme ils ont cassé, traitons-les comme la loi le prévoit.

C'est l'objectif du déploiement massif de plusieurs jeunes avocats au barreau du Cameroun qui se sont donnés pour mission d'assister tous ces jeunes-là qui sont entre les mains de la justice sans considération de parti politique, sans considération d'opinion. Parce que nous nous approchons, nous nous présentons et nous disons okay, comme vous avez été arrêtés dans ce sens, nous allons veiller à ce que vos droits soient respectés.

 

SAB : Vous avez cité tour à tour 1 200 personnes placées en garde à vue à Douala, 345 à Bertoua, 300 à Bafoussam, 78 à Maroua et 55 à Yaoundé. Dites-nous, il y a des syndicalistes qui sont montés au créneau cette semaine pour exprimer leur indignation également parce qu'ils ne savaient pas où se trouvaient non seulement Florence Titchio qui est la secrétaire nationale en charge des affaires féminines au SINAES (Syndicat national autonome de l'enseignement secondaire), de même que Roland Assoah Etoga qui est le coordonnateur du collectif des associations des enseignants du Cameroun, le COREC. Où se trouvent Florence Titchio et Roland Assoah Etoga ?

Me AN : Dans notre façon de travailler, nous recherchons dans les unités. Parce que quand on approche les autorités, on dit okay, nous venons pour les personnes qui ont été interpellées. Personne ne vous dit ‘j’ai quelqu'un ici’. Personne. Ce que nous faisons, nous, le Collectif, quand les noms nous sont donnés, nous les recherchons. Nous avons de bonnes pistes qui nous disent où le président du Collectif des enseignants est. Je ne peux pas encore le dire ici parce que ce n'est pas encore vérifié. Nous ne l'avons pas encore vu.

Mais dès lundi, l'équipe sera déployée sur le terrain encore, comme depuis la semaine dernière. Nous allons faire de notre mieux pour trouver ou essayer de trouver son lieu de détention. Parce que tout cela fait partie des difficultés que nous rencontrons sur le terrain. Notamment, avoir accès aux personnes gardées à vue. C'est ce que nous dénonçons ici. C'est ce que nous dénonçons depuis longtemps.

Qu'est-ce qu'on reproche à ces personnes ? Et si les reproches qui leur sont faites sont fondées, pourquoi ne pas s'assurer que leurs droits sont respectés ? Pourquoi les cacher ? Par exemple, pourquoi ne pas leur donner accès à un avocat ? Pourquoi leur faire des auditions en secret et les faire signer des bordereaux qui seront contestés ? Voilà le leitmotiv de notre combat. Et nous allons continuer à les chercher, pour ceux qu'on pourra trouver, et nous documenterons. Ensuite nous allons communiquer sur cette question.

 

SAB : Cela veut dire que ces deux cas n'étaient pas présents le 30 octobre dernier au tribunal militaire ?

Me AN : Non, nous ne les avons pas vus au tribunal militaire.

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